Extraits de "Mystery Train", Greil Marcus, 1975, Allia. Elvis presley "Blue christmas / One night"

"Ce fut un moment renversant. Le colonel Parker voulait vingt chansons de Noël et un costume, le producteur un show dur, rapide et sexy. Et tout le monde regardait. Elvis mettait tout en jeu, risquant son confort et son aisance pour une chance de repartir à zéro. Ca faisait longtemps qu'il n'était plus qu'une mauvaise plaisanterie. (...)
Assis sur scène, vêtu de cuir noir, entouré d'un petit groupe mordant, alors qu'on entendait la foule bourdonner, il chanta, parla et plaisanta et toutes les rancoeurs qu'il avait cachées pendant des années commencèrent à se déverser. Il avait toujours dit oui, mais cette fois il disait non - non sans humour, mais avec un peu de culpabilité désabusée, comme s'il avait trahi son talent et lui même. (...) "Je voudrais jouer ma chanson de Noël préférée", dit Elvis d'une voix traînante. un rythme and blues de facture classique, très régulier, plein de tension contenue. Il le chante d'une voix de gorge basse, faisant claquer les cordes de sa guitare jusqu'à ce qu'un de ses comparses lui crie: "Joue-le plus sexe! Joue-le plus sexe!" (...) "J'crois que je vais mettre une sangle à ma guitare et me lever. Ahahahahahahahahaha!" Mon Dieu, qu'est-ce que c'est que ça? Le rire nerveux d'un ami. Lent et sûr de lui, toujours occupé à chercher du regard la sangle que personne n'a pris la peine d'accrocher à sa guitare. Elvis entame le rock de "One Night". La version originale de Smiley Lewis parlait d'une orgie, "One night of sin": "The things I did and I saw, would make the earth stand still". Elvis l'avait édulcorée en histoire d'amour en 1958. Mais il a oublié - ou bien il se souvient. C'est la version de Lewis qu'il chante ce soir, comme il a probablement toujours voulu le faire. Il est sorti de son rôle, et tandis qu'il rit, qu'il sourit, quelque chose est en train de se passer. "
... The things I did and I saw, could make... these dreams - Where's the strap?" Où est la sangle, c'est le cas de le dire. Il passe d'une version à l'autre et tout d'un coup le groupe se met à pilonner sévèrement. Elvis charge et avale la chanson toute crue. personne ne l'a jamais entendu chanter comme ça. Hurlant, criant, grognant, poussant des gémissements lascifs, Elvis finit par se lever et la foule avec lui, non plus pour tenter de ressusciter le passé qu'on les avait emmenés rejouer dans le studio, mais en réponse à quelque chose de complètement nouveau."

1 commentaire:

Fièvre de Monarc' a dit…

"When you see me runnin', you know my life is at stake" Howlin' Wolf
C'est exactement ça.
(...) Dans le public les gens hurlent devant ce qu'ils avaient à peine osé espérer: Elvis a dépassé toutes leurs attentes, et les siennes, à tel point qu'ils ont du mal à y croire. La guitare part de haut, dégringole violemment et Elvis rugit. Chaque vers est comme un coup de tonnerre. ah! yeah! crie un pote - ça fait des années qu'il attend ce moment.
"Unnnnnnh! Whew! When... I ain't nevah did no wrong!"
Et Elvis plane comme le maître qu'il redevient sur "One night with you", s'autorisant même à pousser un petit "Hot dog!" (Bon sang!), en chantonnant pour lui même.
C'était la plus belle musique qu'il ait faite de sa vie. S'il y eut jamais musique qui saigne, ce fut celle là. Rien de facile dans cette soirée, il donna tout ce qu'il avait - et il y en avait plus que personne n'aurait pu l'imaginer.